Droit matrimonial - Newsletter septembre 2014
Editée par Bohnet F., Christinat R., Guillod O., Kesseli R.
Editée par Bohnet F., Christinat R., Guillod O., Kesseli R.
Mesures protectrices ; entretien ; art. 176 CC
Calcul du minimum vital pour la contribution d’entretien. Si la situation financière d’un couple le permet, la charge fiscale peut être prise en compte dans le calcul du minimum vital. Plus la situation financière est difficile, plus les tribunaux doivent respecter les principes établis au regard de l’art. 93 LP. Tous les cantons suivent cette jurisprudence bien établie, à l’exception de Soleure et Saint-Gall. Ces deux cantons intègrent explicitement la charge fiscale dans le minimum vital, indépendamment de la situation financière. En l’espèce, le Tribunal cantonal de Soleure se réfère aux directives cantonales, qui sont en contradiction claire avec la jurisprudence fédérale. Par conséquent, la prise en compte des impôts dans le calcul du minimum vital, dans une situation financière difficile, est arbitraire au sens de l’art. 9 Cst. (consid. 4.2.3, 4.4.2 et 4.6).
Mesures protectrices ; domicile conjugal ; art. 176 al. 1 ch. 2 CC
Attribution du logement conjugal. En cas de désaccord entre les époux, le juge des mesures protectrices de l’union conjugale attribue le logement à l’une des parties en pesant les intérêts en présence. Dans son appréciation, il observe en premier à quel époux l’habitation est la plus utile, en considérant d’abord l’intérêt de l’enfant à demeurer dans le même logement, puis l’intérêt professionnel ou personnel d’un époux à pouvoir rester dans un logement spécialement aménagé pour ses besoins de santé. Cet examen suppose que les conjoints partagent encore le même domicile, à moins que l’un d’entre eux l’ait quitté pour fuir une tension particulière au sein du couple. Si le critère de l’utilité ne permet pas de trancher, le juge attribue le logement à l’époux pouvant le plus raisonnablement déménager en considérant l’âge, l’état de santé ou l’affection particulière d’un époux pour le logement. En dernier ressort, le juge attribue l’immeuble conformément à son statut juridique (consid. 3.3.2).
Cas d’espèce. L’épouse a quitté le domicile conjugal pour échapper aux violences de son époux. Malgré une santé fragile, elle est la seule à travailler. Elle est en outre la seule titulaire du bail de l’appartement, qu’elle occupait déjà seule avant le mariage. L’époux est au chômage et malade depuis un an. Le Tribunal inférieur ne commet aucune appréciation arbitraire en attribuant le logement à l’épouse (consid. 3.3.3).
Mesures protectrices ; garde des enfants ; art. 179 al. 1 CC
Relations personnelles parents-enfants. Une modification des mesures protectrices de l’union conjugale peut intervenir si la situation de l’une des parties a changé de manière essentielle et durable depuis l’entrée en force de la décision, ou si cette dernière repose sur un état de fait qui s’est révélé erroné ou qui ne s’est pas réalisé par la suite, ou encore si le juge ne connaissait pas un état de fait déterminant pour sa décision. Une modification ne peut en revanche pas intervenir pour corriger une décision erronée, soit dans le cas où le juge a mal apprécié les circonstances ou une preuve (consid. 4).
Souhait de l’enfant. Un enfant déclarant à son père qu’il préférerait vivre chez lui plutôt que chez sa mère ne suffit pas à établir une modification de la situation suite à l’entrée en force de la décision attribuant la garde à la mère, fondée sur une expertise psychiatrique de l’enfant, d’où il ressort que celui-ci acceptait autant de vivre chez sa mère que chez son père (consid. 6).
Mesures protectrices ; garde des enfants ; art. 176 CC
Relations personnelles parents-enfants. Le juge prenant des mesures protectrices de l’union conjugale règle les relations personnelles entre parents et enfants. S’il attribue la garde à l’un des parents, il procède de la même manière que dans une procédure de divorce. Ainsi, le critère déterminant réside dans le bien de l’enfant. Le juge examine d’abord les capacités éducatives respectives des parents. Si celles-ci sont égales, il considère le temps dont dispose chaque parent pour s’occuper personnellement des enfants. Si les deux parents offrent la même disponibilité, la stabilité du lieu de vie de l’enfant entre en considération. Finalement, si l’âge de l’enfant le permet, les souhaits émis par celui-ci sont entendus (consid. 2.1). Le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans cet examen et le Tribunal fédéral revoit uniquement les décisions qui s’écartent sans raison des principes établis par la doctrine et la jurisprudence (consid. 2.2).
Mesures protectrices ; garde des enfants ; art. 3 et 13 ClaH80
Droit de garde. Le droit de garde au sens de l’art. 3 let a ClaH80 doit être interprété comme une notion autonome, mais en tout cas au sens de l’art. 5 let. a ClaH80, comme le droit sur les soins de la personne de l’enfant et le droit de décider de son lieu de résidence. D’après un jugement étranger, la mère ne disposait pas seule du droit de décider elle-même du lieu de résidence de l’enfant. Par conséquent, le père était co-titulaire du droit de garde (consid. 3.4 et 3.7).
Consentement au déplacement. D’après l’art. 13 ClaH80, l’autorité judiciaire ou administrative de l’Etat requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant lorsque la personne qui avait le soin de la personne de l’enfant avait consenti au déplacement. Le Tribunal fédéral et la doctrine demandent des exigences accrues par rapport au consentement, au sens de l’art. 13 al. 1 let. a ClaH80. En l’espèce, le père n’avait pas consenti au déplacement (consid. 4, 4.4 et 4.5).
Mesures protectrices ; procédure ; art. 75 al. 1 et 121 let. c LTF
Révision. S’il admet une demande de révision, le Tribunal fédéral rend en principe deux décisions dans un seul arrêt. La première, le rescindant, annule l’arrêt dont est litige. La seconde, le rescisoire, statue sur le recours dont les juges fédéraux avaient précédemment été saisis. Le rescindant clôt la procédure de révision en tant que telle et réouvre la procédure antérieure. Elle revêt un effet ex tunc (consid. 3.1).
Moyens nouveaux. Le recours en matière civile exclut tous les moyens nouveaux, conformément aux principes de la bonne foi et de l’épuisement des griefs (art. 75 al. 1 LTF), à moins que seule la motivation de la décision entreprise permette de les invoquer, c’est-à-dire lorsque les faits ou moyens de preuve sont devenus pertinents en raison de la décision (consid. 4.2). Ainsi, bien que le recourant ait raison lorsqu’il affirme que la contribution d’entretien pour l’époux et celle pour les enfants doivent être fixées de manière séparée, le Tribunal fédéral ne peut pas retenir son argumentation, car l’époux n’avait pas contesté le montant global des contributions dans son appel (consid. 5.2).
Divorce ; entretien de l’enfant ; partage de la prévoyance professionnelle ; art. 124, 133 et 285 al. 1 CC
Rappel détaillé de la fixation de la contribution d’entretien en faveur de l’enfant. La contribution d’entretien en faveur de l’enfant doit tenir compte des besoins de l’enfant et des ressources des père et mère. La fortune et les revenus de l’enfant sont aussi considérés. La loi ne mentionnant pas de méthode de calcul, la fixation de la contribution relève du pouvoir d’appréciation du juge. Les allocations pour enfants, les rentes d’assurances sociales et les autres prestations vouées à l’entretien de l’enfant s’ajoutent à la contribution d’entretien. En revanche, les versements dont bénéficie le parent pour alléger son devoir d’entretien ne tombent pas dans l’art. 285 al. 2 CC. Suite à la déduction des prestations de tiers, l’entretien de l’enfant doit être réparti entre les parents, proportionnellement à leur revenu et en tenant compte de l’entretien en nature fourni par le parent détenant la garde (consid. 4.4.3). L’indemnité pour enfant à charge perçue par la mère est fournie par son employer et non par une assurance sociale, de sorte qu’elle échappe au champ d’application de l’art. 285 CC et n’est pas à déduire des besoins de l’enfant (consid. 4.4.4.2). Les versements que perçoit la mère de son employeur pour participation aux frais d’écolage doivent être déduits des besoins de l’enfant (consid. 4.4.4.3).
Fixation de l’indemnité équitable de l’art. 124 CC. Pour fixer le montant de l’indemnité équitable, le juge tranche selon les règles du droit et de l’équité. Le Tribunal fédéral corrige l’appréciation de l’autorité cantonale uniquement si elle n’a pas considéré des facteurs essentiels ou si le montant fixé est manifestement inéquitable selon les circonstances (consid. 6.2.1). Dans son estimation, le juge se place au moment du prononcé du divorce. Il observe la durée du mariage, indépendamment de la durée de la suspension de la vie commune, puis essaie de reprendre le principe de l’art. 122 CC selon lequel les avoirs de prévoyance sont répartis par moitié. Toutefois, la notion même d’indemnité équitable suppose que le juge n’applique pas schématiquement ce raisonnement et considère la situation financière des ex-époux suite au divorce, en examinant particulièrement les besoins personnels et la capacité économique du débiteur ainsi que les besoins de prévoyance du créancier (consid. 6.2.2).
Divorce ; entretien ; art. 125 al. 2 CC
Contribution d’entretien. Pour décider d’octroyer une contribution d’entretien, les différents critères de l’art. 125 al. 2 CC doivent être pris en considération. En l’espèce, une contribution qui doit être versée par le débirentier jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la retraite est justifiée, car la crédirentière n’arrive pas à couvrir son minimum vital (consid. 3.4).
Divorce ; mesures provisionnelles ; procédure ; art. 296 al. 1 CPC
Somme à imputer à titre de contributions d’entretien déjà versées. Il est arbitraire de déduire des contributions d’entretien encore dues un montant acquitté par le débirentier à titre d’arriérés de pension alimentaire, mais pour une période antérieure à celle dont est litige (consid. 3.4.2).
Divorce ; entretien ; mesures provisionnelles ; procédure ; art. 163 CC
Compétence du juge. Lorsqu’il fixe les contributions d’entretien entre époux dans le cadre de mesures provisionnelles, le juge ne doit pas préjuger du fond. Partant, il ne doit pas établir si le mariage a concrètement influencé la situation financière des parties (consid. 5.2.1).
Taux d’activité du parent assumant la garde. En principe, on ne peut pas attendre de l’époux qui assume la garde des enfants qu’il reprenne une activité lucrative avant que le cadet ait atteint l’âge de dix ans révolus. L’époux peut ensuite reprendre un emploi à 50% jusqu’à ce que l’enfant ait seize ans révolus, puis à 100%. Ces règles ne s’appliquent toutefois pas strictement (consid. 5.2.2).
Divorce ; entretien ; procédure ; art. 176 CC
Contribution d’entretien. Les circonstances au moment du jugement de divorce constituent le point de départ pour calculer la contribution d’entretien après le divorce. Lorsqu’il est prévisible que les circonstances vont changer au fil du temps, le juge peut subdiviser la contribution d’entretien en différentes périodes avec différents montants à verser (consid. 6.3.2).
Coûts de logement du débirentier. Les coûts totaux de logement du débirentier ne peuvent être pris en compte que s’ils sont conformes à sa situation financière. Si ce n’est pas le cas, un délai raisonnable doit être octroyé au débirentier pour qu’il puisse ajuster ses coûts de logement à sa situation. En l’espèce, le tribunal inférieur a pris en compte à la fois les coûts de l’EMS dans lequel le débirentier vivait et le loyer d’un appartement. Ainsi, le tribunal a établi de façon manifestement inexacte les faits au sens de l’art. 97 al. 1 LTF (consid. 6.3.2 et 6.3.3).
Divorce ; régime matrimonial ; art. 197 al. 2 ch. 1 CC
Détermination des acquêts. La partie qui fait valoir des réunions aux acquêts (art. 208 CC), doit prouver non seulement que l’autre partie possédait cette valeur patrimoniale à un certain moment, mais aussi ce qui s’est passé avec. En l’espèce, les époux ont conservé de l’argent (constituant un acquêt) liquide dans un coffre-fort auprès d’une banque dont le montant exact n’a pas pu être établi. Vu cet état de nécessité en matière de preuve (Beweisnotstand), le principe de la détermination équitable du dommage par le juge (art. 42 al. 2 CO) peut s’appliquer par analogie en droit matrimonial. Le Tribunal cantonal avait donc le droit de procéder à une estimation du montant se trouvant dans le safe, sur la base des montants non déclarés à l’administration fiscale qui se sont accumulés au fils du temps (consid. 2.1, 2.4, 2.5, 5.5).
Divorce ; procédure ; art. 119 al. 2 CPC
Assistance judiciaire. La personne sollicitant l’assistance judiciaire doit justifier sa situation de fortune et ses revenus (art. 119 al. 2 CPC). In casu, la requérante n’a pas déposé ses moyens de preuve en même temps que la demande d’assistance judiciaire, mais a promis de les présenter plus tard. Le juge de première instance a refusé l’assistance judiciaire à cause des documents manquants six jours après le dépôt de la requête. D’après le principe de la bonne foi (art. 52 CPC) et le droit d’être entendu (art. 53 al. 1 CPC), le juge aurait dû accorder un délai supplémentaire à la requérante ou surseoir à statuer (consid. 3.1 et 3.2).
Divorce ; procédure : art. 328 al. 1 let. a CPC
Révision. Selon l’art. 328 al. 1 let. a CPC, une partie peut demander la révision de la décision entrée en force au tribunal qui a statué en dernière instance, quand elle découvre après coup des faits ou des moyens de preuve pertinents qu’elle n’avait pu invoquer dans la procédure précédente, à l’exclusion des faits et moyens de preuve postérieurs à la décision. En l’espèce, pendant la procédure de divorce, l’homme a informé la femme qu’il touchait une rente d’une caisse de pension. L’épouse, représentée par un avocat, aurait dû demander le nom de la caisse et si le mari avait des avoirs auprès de la caisse de pension à partager, ce qu’elle n’a pas fait. Le refus de réviser le jugement de divorce n’est donc pas arbitraire (consid. 2, 3 et 5).
Divorce ; procédure ; art. 29 al. 1 Cst.
Déni de justice. D’après l’art. 29 al. 2 Cst., toute personne a le droit que sa cause soit jugée dans un délai raisonnable, qui se détermine d’après toutes les circonstances du cas, notamment les difficultés ou l’urgence de la cause et le comportement des autorités et des parties. En l’espèce, un déni de justice n’est pas établi par le seul fait que la procédure ait duré un certain temps ; il faut savoir si la procédure s’est déroulée vite par rapport aux intérêts en jeu et si les autorités n’ont pas laissé passer du temps inutilement (consid. 4.1).
Divorce ; demande d’information ; art. 170 CC ; 150 ss CPC
Fondements de la demande d’informations déposée dans le cadre d’une procédure de divorce. Une demande d’informations financières peut se baser tant sur le droit matériel (art. 170 CC) que sur le droit procédural (art. 150 ss CPC). La première existe en soi, tant que dure la relation matrimoniale entre les parties et vise à recueillir des informations ; elle débouche sur une décision finale. La seconde se réfère à un fait précis, à alléguer et prouver, et donne lieu à une décision incidente n’ouvrant un recours que si elle est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b CPC) (consid. 3.1).
Qualification d’une telle demande. La qualification de la demande d’informations dépend exclusivement du choix fait par la partie demanderesse. Le tribunal ne peut pas conclure que la demande est de nature procédurale simplement parce qu’un procès en divorce est déjà pendant (consid. 3.4 et 5.2).
Divorce ; mesures provisionnelles ; procédure ; art. 29 al. 1 Cst.
Déni de justice. Un juge ne peut pas invoquer l’ouverture de la procédure en divorce pour ne pas statuer sur une requête de mesures protectrices de l’union conjugale déposée auparavant. Au surplus, il ne peut pas se retrancher derrière la complexité de l’affaire, bien que plusieurs requêtes de mesures superprovisionnelles aient été déposées successivement, lorsqu’il n’entreprend aucune mesure d’instruction entre un arrêt de renvoi et le dépôt d’une demande en divorce deux ans plus tard et lorsqu’il ne procède à aucune démarche dans le dossier de mesures provisionnelles entre mai et juillet 2013, puis entre août et novembre 2013 (consid. 4.2).
Modification d’un jugement de divorce ; sort de l’enfant ; art. 134 CC
Qualité et capacité pour recourir de l’enfant mineur. L’enfant mineur peut recourir en matière civile au Tribunal fédéral contre une décision de modification d’un jugement de divorce portant sur l’attribution de l’autorité parentale et le touchant donc directement s’il est capable de discernement, ce qui est en principe admis dès l’âge de 12 ans (consid. 1.2.3).
Appréciation des faits nouveaux. Un départ pour la Californie, où s’est établie la mère, n’est pas un fait nouveau susceptible de nuire au bien d’un enfant de presque douze ans (consid. 3 et 4).
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