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En ce début d’année 2024, que nous vous souhaitons pleine de joie, de succès et de belles découvertes, nous vous proposons une édition spéciale de la newsletter droitmatrimonial.ch, qui revient sur les arrêts commentés en 2023.
TF 5A_60/2022 (d) du 5 décembre 2022
Mesures protectrices; entretien; procédure; art. 176 al. 1 ch. 1 et al. 3, 276 al. 2 et 285 al. 2 CC; 58, 296 al. 3 et 314 al. 2 CPC
Provisio ad litem pour la procédure fédérale – rappels. Une provisio ad litem pour la procédure de recours devant le tribunal fédéral est une prétention de droit civil matériel à faire valoir devant le tribunal du fond compétent dans la procédure cantonale (consid. 1.2).
Entretien entre conjoint·es et entretien des enfants mineur·es – principes et différences des règles matérielles et procédurales (art. 176 al. 1 ch. 1 et al. 3, 276 al. 2 et 285 al. 2 CC ; art. 58, 272, 282 al. 2, 296 al. 3 et 314 al. 2 CPC). Principe de disposition et interdiction de la reformatio in pejus en deuxième instance – rappels et précisions. Même dans la procédure de MPUC, les prétentions en entretien de l’autre conjoint·e et des enfants mineur·es sont indépendantes juridiquement, ce que les dispositions sur la vie séparée précisent expressément (comp. art. 176 al. 1 ch. 1 et son al. 3 cum art. 276 al. 2 CC). L’entretien des enfants mineur·es est soumis à la maxime d’office (art. 296 al. 3 CPC), alors que l’entretien entre conjoint·es est soumis au principe de disposition (art. 58 al. 1 et al. 2 a contrario CPC). Pour se prémunir contre les effets du principe de disposition, la partie qui requiert un entretien pour elle-même et pour les enfants doit, le cas échéant, prendre des conclusions subsidiaires (consid. 3.4.1).
Idem – absence d’arbitraire dans le cas d’espèce. En l’espèce, sur appel du mari, l’instance d’appel a réduit la contribution d’entretien pour enfant et prévu une contribution d’entretien en faveur de l’épouse, bien que celle-ci n’eût pas fait appel de la décision de première instance qui ne lui en allouait pas. Rappel de deux jurisprudences récentes (5A_776/2021 et 5A_112/2020). La décision dont est recours résiste à l’arbitraire. Examen et rejet des arguments tirés par le recourant d’autres jurisprudences, dont certaines anciennes. In casu, la décision de deuxième instance n’attribue pas à l’épouse un montant global (i.e. contribution de prise en charge + entretien de l’épouse) plus élevé que la première instance (i.e. contribution de prise en charge). Une telle considération globale ne constitue pas une application arbitraire du principe de disposition (art. 58 al. 1 CPC). Savoir si la même conclusion s’imposerait si la partie créancière se trouvait globalement mieux traitée que dans la décision de première instance à la suite de la répartition de l’excédent, est une autre question, qui n’a pas à être tranchée en l’espèce. A noter que, dans le cadre de la modification du CPC en cours, il y a l’intention d’admettre l’appel joint dans les procédures en droit des familles soumises à la procédure sommaire (consid. 3.4.1).
Entretien – quote-part d’épargne et amortissement de dettes. Méthode concrète en deux étapes avec répartition de l’excédent et quote-part d’épargne – rappels. L’amortissement de dettes est également considéré comme quote-part d’épargne (consid. 3.4.2).
Commentaire de l'arrêt TF 5A_60/2022 (d)
François Bohnet
Avocat spécialiste FSA droit du bail, LL.M., Dr en droit, Professeur à l'Université de Neuchâtel
In-Corpore : ce que le droit fait à nos corps
Compte-rendu proposé par Sandra Hotz et Rosemarie Weibel suite au colloque des 9 et 10 février 2023, intitulé In-Corpore : ce que le droit fait à nos corps organisé par le FRI institut suisse d’études juridiques féministes et gender law (pour le programme, cliquez ici).
TF 5A_881/2022 (f) du 2 février 2023
Divorce; violences conjugales; procédure; art. 28b et 28c CC; 5 et 8 CEDH; 10 al. 2, 13 et 36 Cst.; 114 let. f, 115 al. 2, 117 et 343 al. 1bis CPC; 65 LTF
Mesure de surveillance électronique (art. 28b et 28c CC) – principes. Pour mettre en œuvre une mesure d’éloignement ordonnée sur la base de l’art. 28b al. 1 CC par le biais d’une mesure fondée sur l’art. 28c CC (entrée en vigueur le 1er janvier 2022), on peut recourir à la surveillance mobile à l’aide du système GPS (e.g. bracelet électronique). La surveillance prévue par l’art. 28c CC est de nature purement passive, moins coûteuse que la surveillance active. Elle présente l’inconvénient de ne pas pouvoir empêcher la violation d’une interdiction prononcée par le tribunal civil, puisqu’elle se contente d’enregistrer les données (consid. 5 et 5.1).
Idem – conditions. Deux conditions prévues par l’art. 28c CC doivent être remplies : (1) une requête de la partie demanderesse (la mesure ne peut pas être prononcée d’office) et (2) l’existence d’une interdiction fondée sur l’art. 28b al. 1 CC, celle-ci pouvant avoir été ordonnée soit préalablement soit simultanément à la surveillance électronique (consid. 5.2).
Portant atteinte à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst. et 5 CDEH) et au droit à la sphère privée (art. 13 Cst. et 8 CEDH), la mesure ne peut en outre être ordonnée que si les conditions de l’art. 36 Cst. sont réunies. La condition de la base légale (art. 36 al. 1 Cst.) est remplie. Rappel des autres conditions de l’art. 36 al. 2 à 4 Cst. (consid. 5.2).
La mesure de l’art. 28c CC est apte à atteindre le but visé dans le cas concret si elle permet de renforcer la protection de la victime, que ce soit en dissuadant l’intéressé d’enfreindre l’interdiction prononcée par le tribunal civil ou en permettant la récolte de preuves d’une telle violation, afin de favoriser l’exécution de la sanction prévue. Elle s’avère nécessaire si l’auteur de l’atteinte a déjà transgressé une interdiction prononcée en vertu de l’art. 28b al. 1 CC ou s’il est probable qu’il le fera, partant, si l’on peut conclure qu’il va ou qu’il risque de porter atteinte aux droits fondamentaux de la victime potentielle. Il s’agit d’une mesure subsidiaire, qui ne se justifie que si des mesures moins rigoureuses ont échoué ou apparaissent a priori insuffisantes. Tel sera par exemple le cas lorsque l’auteur potentiel déclare qu’il ne se conformera pas à l’interdiction d’approcher la victime ou lorsqu’il l’a déjà enfreinte par le passé (consid. 5.2).
Dans le cadre de la pesée des intérêts en présence visant à vérifier le caractère raisonnable de la mesure, le tribunal doit accorder un certain poids aux intérêts de la victime potentielle, dont la liberté est sensiblement entravée par le comportement de l’intéressé·e. Il doit aussi prendre en considération les intérêts de la personne visée par la mesure d’éloignement, étant précisé que s’agissant d’une surveillance purement passive qui n’intervient pas à son insu, ceux-ci n’apparaissent pas atteints de manière particulièrement grave. Une telle mesure pourrait d’ailleurs aussi, selon les circonstances, permettre de protéger l’auteur potentiel d’éventuelles dénonciations mensongères. Finalement, la mesure doit également être proportionnée quant à sa durée et à son étendue géographique (consid. 5.2).
Idem – autres principes se dégageant de l’interprétation (en part. téléologique). Nier l’adéquation de la mesure de surveillance lorsqu’un risque subsiste que l’auteur potentiel commette des actes de violence rendrait inapplicable l’art. 28c CC, dès lors que cette mesure, par sa nature subsidiaire, ne se justifie précisément que si l’on peut conclure que l’auteur potentiel va porter atteinte aux droits fondamentaux de la victime ou risque de le faire. Par ailleurs, prétendre que cette mesure ne se justifierait qu’en l’absence de tout autre mode de preuve reviendrait à vider la disposition légale de sa substance (consid. 6).
Idem – assistance judiciaire pour la procédure de recours cantonale. Rappel des principes et conditions de l’assistance judiciaire (art. 117 CPC) (consid. 7.1 à 7.1.3). En l’espèce, dans la mesure où l’art. 28c CC n’avait jamais été examiné par le Tribunal fédéral et n’avait que très peu été débattu en doctrine, il apparaît que la cour cantonale ne pouvait pas dans les circonstances de l’espèce considérer que le recours était d’emblée voué à l’échec (consid. 7.2).
Idem – frais de la procédure cantonale resp. fédérale (art. 114 let. f et 115 al. 2 CPC ; art. 65 al. 3 LTF). Mention de l’exception prévue par l’art. 115 al. 2 CPC au principe de gratuité de la procédure ancré à l’art. 114 let. f CPC. Absence de gratuité de la procédure devant le Tribunal fédéral (consid. 8).
Commentaire de l'arrêt TF 5A_881/2022 (f)
Les écueils de la nouvelle réglementation de droit civil en matière de mesures de surveillance électroniqueTF 5A_64/2022 (d) du 15 décembre 2022
Couple non marié; autorité parentale; audition d’enfant; procédure; art. 298d et 314a al. 1 CC; 298 al. 1 CPC
Audition de l’enfant – rappel des principes (art. 314a al. 1 CC ; art. 298 al. 1 CPC). L’enfant est directement concerné·e par la règlementation de l’autorité parentale. L’enfant n’est certes pas partie au procès des parents relatif à l’autorité parentale conjointe, mais il/elle dispose d’une position procédure particulière qui lui permet de participer à la procédure. Par conséquent, l’enfant est entendu·e dans la procédure, à moins que son âge ou d’autres justes motifs ne s’y opposent (art. 314a al. 1 CC ; art. 298 al. 1 CPC). Rappel de l’ATF 146 III 203, en particulier du fait que pour des enfants plus âgé·es, l’aspect « droit de la personnalité » est prépondérant et l’enfant a un droit de participation propre, alors que pour des enfants plus jeunes l’audition doit être comprise comme un moyen de preuve (consid. 2.1).
Les dispositions précitées concrétisent les droits découlant des art. 29 al. 2 Cst., 6 ch. 1 CEDH et 12 CDE. Le principe d’égalité de traitement (art. 8 Cst.) n’a pas d’effet horizontal et ne peut pas être invoqué dans un litige entre personnes privées. Idem s’agissant de l’art. 8 CDE (consid. 2.2).
Capacité de l’enfant de se déterminer sur la question de l’attribution de l’autorité parentale : rappel des principes, en particulier de la limite des 12 ans (i.c. enfants de 5 et 7 ans au moment déterminant) (consid. 2.3). Savoir si l’enfant se trouve dans un conflit de loyauté, s’il en souffre et si une perspective d’amélioration de la situation est envisageable en cas d’autorité parentale exclusive sont des questions de psychologie de l’enfant auxquelles on ne peut répondre qu’avec des connaissances spécialisées (consid. 2.4). En l’espèce, le fait d’avoir renoncé à l’audition des enfants résiste à la critique (consid. 2.5).
Modification de l’attribution de l’autorité parentale (art. 298d al. 1 CC). Rappel des principes (consid. 3.1 à 3.1.4).
Commentaire de l'arrêt TF 5A_64/2022 (d)
Patricia Dietschy
Professeure titulaire à l'Université de Neuchâtel, juge suppléante au Tribunal cantonal vaudois, avocate-conseil à Lausanne
Laurent Varriale
Assistant-doctorant à l'Université de Lausanne, greffier ad hoc au Tribunal d'arrondissement de Lausanne
Révision annoncée du droit de la protection de l’adulte : extension du pouvoir légal de représentation aux partenaires de vie
Un aperçu de l’avant-projet du Conseil fédéral, proposé par Jérôme Saint-Phor, relatif à la modification du Code civil sur la nouvelle révision du droit de la protection de l’adulte, en particulier sur la question de l’extension du pouvoir légal de représentation, au sens de l’article 374 CC.
TF 6B_782/2022 (f) du 17 avril 2023
Couple non marié; violences conjugales; autorité parentale; protection de l’enfant; art. 2, 98 let. b et 219 CP
Violation du devoir d’assistance ou d’éducation (art. 219 CP) – éléments constitutifs. Les éléments constitutifs objectifs de l’infraction sont : une position de garant envers un·e mineur·e, à savoir la violation du devoir d’assistance (protection) ou d’éducation (assurer le développement corporel, spirituel et psychologique) ; une action ou une omission, c’est-à-dire un comportement actif violant le devoir envers l’enfant mineur·e ou un comportement passif de manquement au devoir ; la mise en danger concrète du développement de l’enfant mineur·e, à savoir, compte tenu des circonstances, le risque vraisemblable de séquelles durables d’ordre psychique ou physique mettant en danger le développement de l’enfant ; le lien de causalité entre le comportement de l’auteur ou de l’autrice, et la mise en danger, étant précisé qu’il faut normalement des actes répétés ou des manquements durables pour qu’une mise en danger concrète soit reconnue, bien qu’un acte grave puisse suffire à causer des séquelles durables. L’infraction peut être commise intentionnellement – le dol éventuel étant suffisant – tout comme par négligence (consid. 2.2).
Idem – délai de prescription (art. 98 let. b CP). Rappel des principes relatifs à l’unité juridique d’actions et l’unité naturelle d’actions. L’infraction de l’art. 219 CP présuppose la commission d’actes séparés ou un comportement durable, ce qui relève dès lors de l’unité juridique d’actions. La prescription ne commence donc à courir qu’à partir du jour où le dernier acte a été commis (consid. 3.1).
Idem – application du droit dans le temps (art. 2 CP). En cas de délit continu commis à cheval sous l’ancien et le nouveau droit, le nouveau droit s’applique à l’ensemble de l’infraction. Dans la mesure où les différents actes d’un délit formant une unité juridique d’actions constituent un tout, il n’est pas possible d’appliquer pour partie l’ancien et pour partie le nouveau droit (consid. 3.2).
Commentaire de l'arrêt TF 6B_782/2022 (f)
Marie Desaules
Assistante doctorante à la Chaire de droit pénal et de criminologie de l'Université de Neuchâtel
TF 5A_77/2022 (f) du 15 mars 2023
Divorce; entretien; violences conjugales; art. 9 LPGA; 42bis al. 4 LAI; 37 al. 4 RAI; 67b al. 1 et 5 CP; 28b, 276 al. 1 et 2 et 285 al. 2 CC
Entretien de l’enfant mineur·e (art. 276 al. 1 CC) – contribution de prise en charge. Rappel des principes relatifs aux différents types d’entretien (en nature, en espèce et de prise en charge) et à l’entretien convenable de l’enfant (art. 276 al. 2 CC), en particulier à la composante des coûts indirects liés à la contribution de prise en charge. Celle-ci est uniquement admise si la prise en charge de l’enfant a lieu à un moment où le parent pourrait sinon exercer une activité rémunérée. Il ne s’agit pas d’une rémunération mais d’une compensation de perte de gain attribuée économiquement au parent qui s’occupe de l’enfant (consid. 3.3.3).
Idem – minimum vital élargi du droit de la famille. Le parent gardien et créancier d’aliment est le débiteur de la charge fiscale que représente l’enfant, car il ajoute à ses revenus imposables la contribution d’entretien reçue pour l’enfant. La part fiscale de l’enfant doit être uniquement calculée sur ses coûts directs, soit sans prendre en compte la contribution de prise en charge (coûts indirects), laquelle tient déjà compte de la part d’impôts du parent créancier d’aliment (consid. 5.3.2).
Allocation pour mineur·es impotent·es – définition. L’allocation pour impotent (non imposable, voir consid. 5.2) a pour but légal de rembourser les frais présumés liés à l’impotence, définie à l’art. 9 LPGA comme une atteinte à la santé impliquant un besoin permanent d’aide d’autrui dans la vie quotidienne. Elle indemnise forfaitairement les frais supplémentaires occasionnés par le handicap de l’enfant impotent·e. Il s’agit d’une forme de réparation de dommage et ne constitue pas un revenu de remplacement, contrairement aux rentes ou aux indemnités journalières qui servent à couvrir les frais d’entretien généraux. Les mineur·es n’y ont droit que pour les jours qui ne sont pas passés en institution (art. 42bis al. 4, 1ère phrase, LAI) et pour l’aide et la surveillance supplémentaire nécessaire, en comparaison de mineur·es du même âge, sans handicap (art. 37 al. 4 RAI) (consid. 3.3.1).
Idem – non prise en compte dans le calcul de la contribution d’entretien. Les dépenses supplémentaires dues au handicap se produisent à toute heure et pas seulement pendant les heures d’activité professionnelle, contrairement à ce qui prévaut pour la contribution de prise en charge (art. 285 al. 2 CC). Les deux indemnités sont donc vouées à des dépenses différentes. Il ne se justifie ainsi pas de déduire l’une d’elles en raison du versement de l’autre. Si l’allocation pour impotent devait être déduite de la contribution de prise en charge, cela conduirait à un traitement injuste des parents gardiens d’enfants handicapé·es. A la différence des parents d’enfants en bonne santé, ils devraient effectivement choisir entre la couverture de la totalité du déficit de leurs propres charges lié à leur baisse d’activité et la couverture des frais supplémentaires liés au handicap de leur enfant impotent·e (consid. 3.3.5).
Mesures d’éloignement au sens de l’art. 28b CC – durée. Rappel du principe jurisprudentiel selon lequel, bien que l’art. 67b al. 1 et 5 CP impose une durée limitée de l’interdiction de périmètre, il n’en va pas de même de l’interdiction de périmètre ordonnée en vertu de l’art. 28b CC, lequel n’impose aucune limite temporelle et confère donc à l’autorité judiciaire un pouvoir discrétionnaire à ce sujet : une limitation ne serait pas adéquate dans des cas tels que le harcèlement, car une demande de prolongation aboutirait à une nouvelle confrontation risquant de réactiver la motivation du harceleur (consid. 6.4).
Avis au débiteur. La critique appellatoire du recourant consistant à affirmer qu’il s’est toujours acquitté des contributions d’entretien n’est pas recevable (consid. 7.2).
Commentaire de l'arrêt TF 5A_77/2022 (f)
Contribution de prise en charge : l’allocation pour impotent n’a « rien à voir » avec le nouveau droit de l’entretien de l’enfantTF 5A_325/2022 et 5A_327/2022 (f) du 8 juin 2023
Mesures protectrices; entretien; procédure; art. 93 LTF; 52 CPC; 176 al. 1 ch. 1 CC
Procédure – décision « intermédiaire ». La qualification de décision « intermédiaire » a été admise par le Tribunal fédéral dans un arrêt publié sur une matière non matrimoniale traitant de mesures provisionnelles vouées à être modifiées avant la décision au fond. Bien qu’une telle qualification n’ait pas été employée dans la jurisprudence de la deuxième Cour de droit civil du Tribunal fédéral, celle-ci admet une possibilité similaire par le prononcé de décisions de mesures provisionnelles dans le cadre de procédures de mesures protectrices de l’union conjugale, qu’elle traite en tant que décisions incidentes au sens de l’art. 93 LTF (consid. 2.1.3).
Idem – réouverture d’une procédure probatoire. Rappel de principes. L’autorité judiciaire n’a pas l’obligation de rouvrir la procédure probatoire après la clôture des débats. En revanche, si elle continue de procéder à des actes d’instruction, en invitant notamment les parties à se prononcer sur de nouvelles pièces, après l’audience lors de laquelle elle a clos les débats, cela implique la réouverture de la procédure probatoire. En conclure différemment serait contraire à la bonne foi procédurale à laquelle le ou la juge est soumis·e au même titre que les parties (art. 52 CPC) (consid. 3.3).
Entretien (art. 176 al. 1 ch. 1 CC) – rappels de principes. Selon la méthode du minimum vital avec répartition de l’excédent, les postes de charges supplémentaires [par rapport au minimum vital élargi], tels que les voyages et les loisirs, doivent être couverts par le disponible des parties. Ils ne doivent pas être déduits du disponible total avant la répartition par « grandes et petites têtes » (consid. 8.2).
La charge fiscale repose sur une estimation et non sur un calcul exact (consid. 10.2).
Commentaire de l'arrêt TF 5A_325/2022 et 5A_327/2022 (f)
François Bohnet
Avocat spécialiste FSA droit du bail, LL.M., Dr en droit, Professeur à l'Université de Neuchâtel
Législation
Une chronique portant sur la révision de l’ordonnance sur l’état civil en vue de l’adoption du mariage pour les couples de même sexe vous est proposée par Sandra Hotz.
TF 5A_668/2021 - ATF 149 III 441 (d) du 19 juillet 2023
Couple non marié; entretien; art. 276 al. 1 et 285 CC
Répartition de l’excédent – rappels de principes et précision relative aux enfants de parents non mariés entre eux. L’excédent résultant du calcul de contributions d’entretien selon la méthode en deux étapes doit en principe être réparti selon « les grandes et les petites têtes » ; l’autorité judiciaire est toutefois libre de s’en écarter dans des cas particuliers pour de justes motifs (consid. 2.1). Etant précisé que les « grandes têtes » sont les parents et les « petites têtes » sont les enfants (consid. 2.4).
Rappel de la jurisprudence selon laquelle la part de l’excédent de l’enfant ne peut pas être calculée sur la base des excédents additionnés des deux parents lorsque seul l’un d’eux est tenu de verser une contribution d’entretien (consid. 2.4).
En l’occurrence, en se basant sur l’égalité souhaitée entre enfants de parents non mariés et enfants de parents mariés, le recourant a revendiqué l’application de la répartition par « grandes et petites têtes » en comptant la mère – non mariée au père – de sorte que l’enfant n’a droit qu’au 20% de l’excédent et non au 33% (consid. 2.3). Rappel qu’une partie de la doctrine est du même avis (consid. 2.4).
Rappel du principe selon lequel le parent non marié qui s’occupe de l’enfant n’a pas de droit d’entretien propre au-delà d’un éventuel revenu de remplacement pour la prise en charge personnelle de l’enfant (art. 285 al. 2 CC ; contribution de prise en charge), celui-ci étant limité au maximum à la couverture des besoins du minimum vital du droit de la famille et ne contenant dès lors pas de part excédentaire (consid. 2.6).
Il n’est pas possible d’inclure la « grande tête » du parent gardien dans le calcul de la répartition de l’excédent si les parents ne sont pas mariés entre eux. Le parent gardien ne fait effectivement pas partie du calcul de contribution d’entretien de l’enfant et sa situation financière n’est qu’indirectement prise en compte dans le cadre de la contribution de prise en charge. Inclure le parent gardien dans la répartition de l’excédent par « grandes et petites têtes » reviendrait à accorder une part surévaluée de l’excédent à la partie débitrice d’aliments, à savoir deux « grandes têtes » puisque la part virtuelle du parent gardien resterait attribuée au parent débiteur ; ce qui serait contraire au droit. Il faut au contraire s’en tenir à une répartition de l’excédent entre l’enfant et le parent débiteur. Cela ne relève pas d’un « avantage » économique inéquitable en faveur des enfants de parents non mariés entre eux (consid. 2.7).
Idem – égalité de traitement entre enfants de parents mariés ou de parents non mariés entre eux. L’égalité de traitement entre enfants de parents mariés entre eux et enfants de parents non mariés entre eux est garantie par la contribution de prise en charge (art. 285 al. 2 CC) (consid. 2.5).
Elle l’est également par le principe selon lequel l’entretien dû à l’enfant dépend de la capacité financière de ses parents et des circonstances du cas d’espèce (concubinage, (demi-)frères et sœurs, etc.), étant toutefois précisé qu’une égalité de traitement parfaite entre enfants de parents mariés ensemble ou non ne peut pas exister en raison des spécificités de l’institution du mariage et de chaque situation concrète (consid. 2.6).
Idem – limitation de la part dédiée à l’enfant. L’entretien dû à l’enfant au sens de l’art. 276 al. 2 CC et de l’art. 285 al. 1 CC est d’une ampleur dynamique puisqu’il tient compte à la fois des besoins concrets de l’enfant et de la capacité financière du parent débiteur d’aliments, l’enfant étant en droit de profiter d’une situation financière avantageuse. Ainsi, selon la méthode concrète en deux étapes, l’enfant a droit, selon les capacités financières du parent débiteur, à la couverture de ses besoins vitaux du minimum vital des poursuites, ou à celui du droit de la famille, voire en sus à une part d’excédent. Cette dernière n’étant toutefois pas destinée à la constitution d’épargne, mais à la couverture des besoins courants. Raison pour laquelle elle ne peut pas s’étendre de manière linéaire, mais peut être limitée – selon le pouvoir d’appréciation de l’autorité judiciaire – pour des raisons éducatives et de besoins concrets. Selon l’expérience générale de la vie, les besoins à financer à partir de l’excédent (loisirs, hobbies, vacances, etc.) augmentent avec l’âge de l’enfant. L’âge peut dès lors être pris en compte pour la limitation discrétionnaire de la part d’excédent revenant à l’enfant, en particulier lorsque la situation est favorable (consid. 2.6).
Commentaire de l'arrêt TF 5A_668/2021 - ATF 149 III 441 (d)
La répartition de l’excédent dans le calcul de la contribution d’entretien pour l’enfant de parents non mariésTF 8C_18/2023 - ATF 149 V 240 (d) du 5 octobre 2023
Mariage; autorité parentale; protection de l’enfant; entretien; procédure; art. 4 al. 1 et 2, 7 et 9 al. 1 LAS
Aide cantonale financière au placement – compétence. Dans les relations intracantonales, le droit cantonal détermine la collectivité publique compétente en matière d’aide sociale, mais c’est la loi fédérale sur la compétence en matière d’assistance (LAS) qui détermine le domicile et le lieu de séjour (art. 4 al. 2 LAS) (consid. 5.2.1). Une personne qui change de canton de résidence (art. 4 al. 1 LAS) perd le domicile d’assistance dans ledit canton (art. 9 al. 1 LAS) (consid. 5.2.2). Le domicile d’assistance des enfants mineur·es est réglementé par l’art. 7 LAS (consid. 5.2.3). Dans les cas où l’enfant est placé·e durablement (consid. 5.2.3.2) – volontairement ou sur décision d’une autorité – mais que l’autorité parentale n’a pas été retirée aux parents, c’est l’art. 7 al. 3 let. c LAS qui s’applique. Il prévoit que le domicile d’assistance de l’enfant est celui où il ou elle vivait ou avait son domicile avec ses parents (ou l’un d’eux) immédiatement avant le placement. Le domicile d’assistance ainsi défini reste le même durant toute la durée du placement, même si les parents (ou le parent gardien) changent de domicile en cours de placement. S’il n’y a pas de « dernier domicile commun », le propre domicile d’assistance de l’enfant est celui de son lieu de séjour (consid. 5.2.3.1). Distinction entre placement durable et placement temporaire. Peuvent notamment être considérés comme des placements durables justifiant l’application de l’art. 7 al. 3 let. c LAS ceux qui sont effectués pour une durée indéterminée ou pour plus de 6 mois et dans le cadre desquels les parents ne s’occupent pas sérieusement de leurs enfants ou n’exercent concrètement pas l’autorité parentale. Un des critères de distinction entre séjour externe durable ou temporaire est le but dudit séjour ; les mesures de protection de l’enfant tendent effectivement à plaider pour un placement durable alors que les mesures thérapeutiques ou d’évaluation pour un placement temporaire (consid. 5.2.3.2). La durée effective du placement n’est pas déterminante ; seul est pertinent ce qui était envisagé au début du placement, à savoir si on pouvait s’attendre à ce qu’il soit durable ou si l’on envisageait uniquement une solution temporaire (consid. 5.2.3.2 et 7.2). Même après un placement à titre préventif, un·e enfant n’est en principe considéré·e comme « durablement absent·e du foyer de ses parents ou de l’un d’eux » qu’à partir de la décision définitive avant le prononcé de laquelle des clarifications, notamment une expertise, étaient encore nécessaires. C’est uniquement si aucune autre clarification n’était nécessaire au moment du retrait superprovisionnel du droit de déterminer le lieu de résidence, respectivement du placement préventif, que le caractère durable peut être admis dès le début (consid. 7.2). En l’occurrence, une expertise a été ordonnée en parallèle du placement à titre superprovisoire, afin de clarifier l’état de fait avant qu’une décision définitive soit rendue sur ledit placement ; à cet égard, le placement ne pouvait être considéré comme durable que le jour où il a été ordonné de manière définitive (consid. 7.3). |
Commentaire de l'arrêt TF 8C_18/2023 - ATF 149 V 240 (d)
La compétence cantonale en matière d’aide sociale – analyse de la notion de domicile d’assistance des enfants mineurs placés en institutionTF 5A_248/2023 (d) du 17 août 2023
Couple non marié; autorité parentale; procédure; art. 62 al. 1, 63 et 198 let. bbis CPC; 298b al. 2 et 3 et 298d al. 3 CC
Attraction de compétence de l’autorité judiciaire (art. 298b al. 3 et 298d al. 3 CC). Rappel de principes, notamment en ce qui concerne la conciliation préalable en procédure judiciaire et l’exception de la saisine préalable de l’APEA (consid. 4.3.1).
Rappel de la délimitation des compétences entre l’APEA et le ou la juge civil·e (consid. 4.3.2).
Rappel du principe selon lequel l’autorité de protection de l’enfant mène à terme les procédures qui sont pendantes devant elle au moment de l’introduction d’une procédure judiciaire. Selon le texte de la loi, l’attraction de compétence auprès de l’autorité judiciaire n’a pas lieu dès le dépôt d’une requête de conciliation, mais seulement au moment du dépôt de la demande (consid. 4.3.2).
Suppression de la procédure de conciliation (art. 198 let. bbis CPC). Le dépôt d’une requête de conciliation rend l’objet du litige juridiquement pendant (art. 62 al. 1 CPC) aux conditions de l’art. 63 CPC, et ce, même si la procédure de conciliation est supprimée par la loi et que, par conséquent, il ne faut pas entrer en matière sur la requête de conciliation (consid. 4.3.4).
Il n’est pas possible de déduire de l’art. 198 let. bbis CPC si, et cas échéant à quelles conditions, la litispendance du litige relatif à l’entretien résultant du dépôt d’une requête de conciliation rend caduque la compétence de l’autorité de protection de l’enfant pour régler les autres questions relatives aux enfants (consid. 4.3.4).
Dans un cas où une procédure est pendante devant l’autorité de protection de l’enfant au sujet de l’autorité parentale et d’autres questions concernant l’enfant, mais pas au sujet de l’entretien, la compétence de ladite autorité ne disparaît qu’avec le dépôt de la demande auprès du tribunal civil (consid. 4.3.5).
Le Tribunal fédéral laisse en l’occurrence ouverte la question de savoir si la partie recourante devait saisir l’autorité de conciliation ou directement le tribunal civil, en raison du fait que l’APEA avait été saisie au préalable, mais uniquement pour d’autres questions que celles relatives à l’entretien de l’enfant (consid. 4.3.5).
Autorité parentale – attribution exclusive (art. 298b al. 2 CC). Rappel de principes au sujet de l’autorité parentale conjointe et de l’autorité parentale exclusive, laquelle doit rester une exception très limitée. Une telle exception est envisageable lorsque les parents sont en conflit permanent grave ou sont durablement incapables de communiquer. Il faut aussi que leur conflit porte concrètement atteinte au bien de l’enfant et que l’autorité parentale exclusive ait des chances d’améliorer la situation. A noter toutefois que cette condition d’amélioration de la situation ne peut pas être utilisée pour justifier le passage d’une autorité parentale conjointe à une autorité parentale exclusive. Elle justifie uniquement le maintien d’une autorité parentale exclusive en dérogation au principe de l’autorité parentale conjointe, et ce, sur la base d’un pronostic défavorable sur l’évolution de la relation parentale, lui-même fondé sur des indices concrets qui font craindre une atteinte importante au bien de l’enfant (consid. 5.1).
Commentaire de l'arrêt TF 5A_248/2023 (d)
François Bohnet
Avocat spécialiste FSA droit du bail, LL.M., Dr en droit, Professeur à l'Université de Neuchâtel
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