Droit matrimonial - Newsletter mars 2014
Editée par Bohnet F., Christinat R., Guillod O. et Kesseli R.
Editée par Bohnet F., Christinat R., Guillod O. et Kesseli R.
Protection de l’enfant ; dispositions de procédure applicables ; droit de visite, consommation de cannabis par le père ; maxime inquisitoire et d’office ; droit à la preuve
Droit de procédure applicable en matière de protection de l’enfant. Si les cantons n'en disposent pas autrement, les normes de la procédure civile sont applicables par analogie, à titre de droit cantonal supplétif (art. 450f CC). Il s'ensuit que le Tribunal fédéral ne revoit l'application du CPC dans ce contexte que si elle est arbitraire (consid. 2.2).
Maxime inquisitoire et d’office ; droit à la preuve. Des plaintes déposées au temps de la vie commune, autrement dit des dénonciations effectuées dans le contexte d'une relation de couple houleuse et dont l'issue de la procédure n'est pas connue à ce stade de l'instruction – de surcroît, pour des actes de violence à l'encontre de la recourante et de sa propre mère, mais non de l'enfant –, ne semblent pas aptes à forger la conviction d’un tribunal sur le danger que ferait courir à l'enfant l'octroi au père d'un droit de visite libre (inadéquation objective et subjective). Dès lors, il n’y a aucun violation de la maxime inquisitoire et du droit à la preuve en cas de refus de l’apport de ces plaintes au dossier et de prononcé sur la base des constatations d'un intervenant du SPMi à la suite de l'exercice d'un droit de visite surveillé (consid. 4.1.3 et 4.2 ).
Droit de visite, consommation de cannabis par le père. Il n'existe en l'espèce aucun indice que la consommation de cannabis par le père – autant qu'elle soit avérée – et son prétendu comportement agressif mettent en danger la santé physique ou psychique de sa fille ou portent de toute autre manière atteinte au bien de l'enfant, dans le contexte de l'exercice du droit de visite (consid. 6.2).
Avocat spécialiste FSA droit du bail, LL.M., Dr en droit, Professeur à l'Université de Neuchâtel
Mariage ; désaveu de paternité ; art. 256c CC
Justes motifs au sens de l’art. 256c CC. L’existence de justes motifs fonde la restitution des deux délais péremptoires de l’action en désaveu de paternité intentée par le mari (art. 256c al. 1 CC). La notion de justes motifs s’interprète strictement. En l’occurrence, le demandeur ne peut pas se prévaloir du fait que la mère de l’enfant a nourri en lui un espoir de reprise de la vie commune en signant un contrat de bail avec lui. En effet, il savait dès la conception de l’enfant qu’il n’en était pas le géniteur. En outre, son épouse alimentait dès le début ses espoirs de vie commune, de sorte que la signature de ce contrat de bail n’a pas modifié les circonstances (consid. 3.1 et 4.2).
Délai pour agir en cas d’acceptation des justes motifs. En cas de justes motifs, le demandeur doit agir en justice dès que la cause du retard n’existe plus, soit dans le mois qui en suit la fin, sauf exceptions liées par exemple à la maladie ou à une période de vacances (consid. 3.1).
Mesures protectrices ; domicile conjugal ; entretien ; art. 176 CC
Attribution du logement de famille. Pour attribuer le logement à l’un des époux en mesures protectrices de l’union conjugale, le juge examine d’abord le critère de l’utilité, qui implique l’attribution du logement à l’époux qui en justifie le plus grand besoin (intérêts de l’enfant confié à l’un des parents, intérêts professionnels de l’un des époux, intérêts d’un époux à demeurer dans un logement aménagé spécialement pour ses besoins de santé). En principe, ce critère suppose que les deux époux occupent encore le logement. Si l’un d’entre eux est parti, non pas pour s’établir ailleurs, mais pour fuir un climat particulièrement tendu au sein du couple ou suite à une décision de mesures superprovisionnelles, le domicile ne doit pas nécessairement être attribué à l’autre époux. Si le critère de l’utilité ne permet pas de trancher, le juge examine le critère du rattachement en déterminant l’époux auquel on peut le plus raisonnablement imposer le déménagement. Finalement, le juge utilise le critère du statut juridique de l’immeuble. En l’occurrence, l’attribution à l’époux de la maison familiale acquise en raison des troubles de santé de celui-ci n’est pas arbitraire (consid. 5).
Arbitraire dans le calcul de la contribution d’entretien. Le juge ne peut pas retenir un défraiement de représentation forfaitaire s’il n’est pas prouvé par un certificat de salaire ou la déclaration fiscale que l’époux le perçoit effectivement en sus de son salaire (consid. 6.5.1). En considérant qu’un versement unique de CHF 15'000.- en raison d’un bonus extraordinaire constituait un entretien régulier de l’épouse sans que l’on puisse discerner sur quel moyen de preuve il se fonde, le tribunal a également versé dans l’arbitraire. La méthode prenant en compte tous les frais effectifs ne permet plus d’ajouter à ceux-ci un montant de base forfaitaire destiné à assurer le minimum vital. En cas de disponible suffisant, il est arbitraire de ne pas comptabiliser la charge fiscale que devra assumer le crédirentier (consid. 6.5.2).
Mesures protectrices ; droit de visite ; art. 179 CC
Faits nouveaux. Le règlement des relations personnelles entre les parents et l’enfant ne se détermine pas abstraitement, mais s’apprécie concrètement. En l’espèce, la recourante n’a pas satisfait au principe d’allégation en invoquant uniquement que le droit de visite lèse les intérêts de l’enfant, bien que les maximes d’office et inquisitoire s’appliquent (consid. 3.3).
Impact du déménagement sur la contribution d’entretien et le droit de visite. Le fait que le déménagement du parent titulaire du droit de garde augmente les charges du parent au bénéfice d’un droit de visite et réduise son disponible au point de ne plus couvrir le déficit du parent gardien n’est pas un argument pour modifier le droit de visite (consid. 4.3).
Mesures protectrices ; droit de visite ; art. 343 CPC, 292 CP
Exécution d’une décision relative au droit de visite. La menace de la peine prévue à l’art. 292 CP pour assurer l’exécution du droit de visite entre en ligne de compte quand un parent s’oppose fondamentalement à l’exercice du droit de visite. Le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation. En l’espèce, la mère, titulaire du droit de garde, accepte le principe du droit de visite du père, de sorte que la menace d’une peine pénale n’est pas opportune (consid. 2.1 et 2.3).
Mesures protectrices ; entretien ; revenu hypothétique ; art. 173 CC
Délai pour imputer un revenu hypothétique. L’époux capable d’augmenter ses revenus doit bénéficier d’un délai pour ce faire. Dans le cas d’espèce, il est excessif de laisser dix-sept mois au conjoint pour louer sa maison et huit mois pour changer d’activité afin d’augmenter son salaire, alors que la famille connaissait des difficultés financières depuis plus d’un an (consid. 3.4.2 et 3.4.4).
Mesures protectrices ; procédure ; art. 29 al. 3 Cst.
Assistance judiciaire gratuite. Notion de « cause dépourvue de toute chance de succès ». Selon l’art. 29 al. 3 Cst., « toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès, à l’assistance judiciaire gratuite ». Si les perspectives de gagner un procès sont notablement inférieures aux risques de le perdre, l’assistance judiciaire n’est pas due. Un équilibre entre chances de succès et risques d’échec suffit en revanche pour accorder l’assistance judiciaire gratuite (consid. 4.1).
Mesures protectrices ; procédure ; art. 29 al. 2 Cst.
Droit d’être entendu. La garantie constitutionnelle du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) comprend le droit à une prise en compte des moyens de preuve proposés à temps et selon les exigences formelles pour des faits juridiquement pertinents. Le Tribunal peut toutefois refuser des preuves, quand il est convaincu, sans arbitraire, que des preuves supplémentaires ne renverseraient pas sa conviction (consid. 2.1).Mesures protectrices ; procédure ; art. 23 al. 1 CPC
Compétence territoriale du tribunal. D’après l’art. 23 al. 1 CPC, « le tribunal du domicile de l’une des parties est impérativement compétent pour statuer sur les requêtes et actions fondées sur le droit du mariage ainsi que sur les requêtes en mesures provisionnelles ». Les parties ne peuvent pas y déroger (art. 9 al. 2 CPC). Le domicile est déterminé d’après le Code civil (art. 10 al. 2 CPC), à l’exclusion de l’art. 24 CC (consid. 2 et 2.1).
Mesures protectrices ; procédure ; art. 315 CPC ; 103 LTF
Effet suspensif et exécution des décisions. Les mesures protectrices de l’union conjugale sont qualifiées de mesures provisionnelles dans le cadre d’un appel, qui n’a dès lors pas d’effet suspensif selon l’art. 315 al. 4 let. b et al. 5 CPC. Dans la procédure de recours devant le Tribunal fédéral, l’art. 103 al. 1 et 3 LTF trouve application, de sorte que le recours n’a pas un effet suspensif ex lege. En l’espèce, la mère a déposé une demande d’exécution de la décision initiale concernant le droit de visite juste après le jugement de deuxième instance, avant que le père dépose un recours devant le Tribunal fédéral. Le tribunal de première instance avait le droit de statuer sur la demande d’exécution de décision, parce que l’effet suspensif n’a pas été ordonné (consid. 2 et 2.2).
Divorce ; autorité parentale ; garde, protection de l’enfant ; art. 133, 310 CC
Autorité parentale. Le juge qui attribue l’autorité parentale sur un enfant à la mère et celle sur l’autre enfant au père ne viole pas le droit fédéral lorsqu’un expert prétend qu’une inégalité entre les parents à cet égard envenimerait le conflit les opposant au détriment des enfants et que la garde de ceux-ci leur a été retirée (consid. 2.2).
Divorce ; mesures provisionnelles ; entretien ; art. 125, 163, 176 CC
Effet d’un concubinage sur l’entretien entre époux. Le concubinage d’un époux produit des effets sur les contributions d’entretien auxquelles il prétend. Le concubinage simple diminue dans tous les cas les frais des concubins. Un concubinage qualifié implique l’entretien mutuel des partenaires. Un concubinage qui dure depuis cinq ans est présumé qualifié. En cas de moindre durée, celui qui le prétend qualifié en supporte le fardeau de la preuve (consid. 5.2).
Divorce ; mesures protectrices ; entretien ; art. 179 CC
Faits nouveaux. Les mesures protectrices de l’union conjugale perdurent malgré l’ouverture d’une procédure en divorce. Dès la litispendance de celle-ci, elles peuvent être modifiées par des mesures provisionnelles en cas de faits nouveaux (art. 179 CC). Cette condition est remplie si les circonstances ont changé de manière essentielle et durable. Les parties ne peuvent en revanche pas invoquer une mauvaise appréciation des faits initiaux (consid. 4.2).
Contribution d’entretien. Une modification des revenus justifie la révision des contributions d’entretien uniquement si la nouvelle contribution, calculée sur la base des faits nouveaux, est significativement différente de l’ancienne (consid. 4.3).
Divorce ; liquidation du régime matrimonial ; art. 204 ss CC
Plus-value conjoncturelle d’un bien immobilier. Le mari a financé l’achat d’un bien immobilier avec des biens propres et des acquêts puis a payé des rénovations avec des acquêts. La plus-value conjoncturelle du bien immobilier doit être répartie proportionnellement entre les montants dépensés pour l’achat (biens propres et acquêts) et pour la rénovation (acquêts). L’immeuble doit être considéré comme une unité. La plus-value conjoncturelle concerne donc la valeur de tout l’immeuble, sans distinguer si l’ensemble ou une partie seulement du bien immobilier est à l’origine de la plus-value (consid. 2.3, 3 et 3.1).
Divorce ; procédure ; art. 93 al. 1 let. a LTF
Renvoi à l’autorité précédente. Un époux allègue subir un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) parce que la cause a été renvoyée à l’autorité de première instance, alors qu’il avait obtenu la récusation du premier juge (qui avait, pendant les auditions, parlé seul à une partie sans le noter dans le procès-verbal et sans informer l’autre partie du contenu de la discussion, à l’issue de laquelle il avait annoncé qu’il allait trancher en faveur de cette partie). Le Tribunal fédéral nie le préjudice irréparable, car la cause de récusation tenait au comportement personnel du juge et ne rejaillit pas sur le tribunal comme autorité. Il est courant en cas de récusation d’un juge de renvoyer la cause au même tribunal (consid. 2.1 et 2.3).
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